Homeland : stupeur et fous rires !

17 Octobre 2015

Le 4 octobre commençait sur la chaine Showtime la 5eme saison de la série « Homeland ».

Comme la série avait déjà en 2012 infligé au Liban moultes avanies allant jusqu’à « s’attirer les foudres des autorités libanaises en dépeignant Beyrouth comme un nid de miliciens islamistes semant la terreur dans la ville ». Je me suis donc empressée de regarder l’épisode en streaming (vive le Liban pour la liberté que procure internet !) car oui, je n’avais jamais regardé cette série lors de sa diffusion en France.

Et là, comment vous dire ? Au fur et à mesure que j’avançais dans l’épisode, je suis passée de la stupeur, à l’incrédulité, au fou rire, pour qu’au final les bras m’en tombent complètement.

Nous sommes bien là au-delà des préjugés caricaturaux, au-delà du fantasme grossier.

Je vous propose donc de reprendre un à un tous les passages relatifs au Liban.

Extrait n°1 :

Cela commence par l’apparition d’un ambassadeur du Liban. Ce dernier semble avoir la quarantaine, porte bien le costume chic ainsi qu’une barbe délicatement taillée. Parce que évidemment, pas d’homme oriental sans barbe ! Ben oui, comment « séparer l’ivraie du bon grain » si non. Bon là, disons que je chipote pour rien parce que le meilleur reste à venir.

Extrait n°2 :

L’héroïne, Carrie, doit se rendre au Liban dans le cadre d’un voyage humanitaire où une équipe de la fondation pour laquelle elle travaille doit se rendre dans un camp de réfugiés syriens. Pour planifier ce voyage (ce qui est son travail au sein de cette fondation), elle se rend chez sa copine de la CIA pour se renseigner sur la situation parce que Ohlala !!! C’est trop dangereux là-bas ! Donc, alors là, top départ de la conversation :

Carrie : - « De combien de milices parle-t-on ?

CIA : - Plus d’un millier…… » >>> Stupeur !

CIA : - « dont 12 importantes incluant l’Etat Islamique » >>> Incrédulité !

Carrie : - « et pour le Hezbollah ? Abdulla coordonne-t-il toujours la sécurité à la frontière ? » >>> Fou rire !

Pourquoi la stupeur ? Je ne vais pas nier que le Liban a une longue histoire de guerre civile où chaque communauté y allait de sa milice mais « des milliers » ?? Au plus fort de la guerre du Liban, le nombre de milices n’a jamais dépassé la quinzaine : il y avait les milices chrétiennes (Phalanges, Forces libanaises, Marada, etc), les druzes ( Parti Socialiste progressiste), les chiites ( Amal, Hezbollah), les sunnites (Mourabitoun, Tawhid, Parti nationaliste social syrien, etc), des Chevaliers Rouges (Fursan al-Homor) alaouites, l’OLP avant 1982 et l’Armée du Liban-sud lors de l’occupation Israélienne.

Aujourd’hui, le Hezbollah est officiellement la seule milice encore armée parce qu’elle se considère comme étant la « résistance » face à l’occupation d’Israël (celle des fermes de Chebaa) mais on dit beaucoup moins qu’encore aujourd’hui, certaines milices reconverties en parti politique ont encore au fond de leur garage et autres sous-sol des caisses de kalachnikovs........ « Plus d’un millier » !!!!!!!!!

Pourquoi l’incrédulité ? La CIA nous dit : « 12 importantes incluant l’Etat Islamique ». Donc là, je ne sais plus, on parle de la Syrie ou du Liban ? Parce que l’Etat Islamique, jusqu’à preuve du contraire, couvre un territoire grand comme le Royaume-Uni entre Irak et Syrie. Ah oui, la Syrie, le Liban, tout ça c’est un peu pareil après tout. Enfin pour les scénaristes américains.

Pourquoi le fou rire ? Parce que tout simplement lorsqu’on me dit que le Hezbollah contrôle la frontière : « Abdulla coordonne-t-il toujours la sécurité à la frontière », oui ça fait rire. Même si le Hezbollah est allé se battre contre des incursions d’Al-Nosra et de l’Etat Islamique à la frontière libano-syrienne dans le Bekaa, on ne peut pas parler de contrôle de frontière.

Enfin le prénom Abdullah n’est pas un prénom chiite, il est quasiment impossible qu’un chabeb porte ce nom.

Extrait n°3 :

N’ayant pas eu l’aide escompté de sa copine de la CIA, Carrie va alors se débrouiller par ses propres moyens grâce à sa connaissance aiguë du terrain. Elle va donc se rendre chez l’imam d’une mosquée de Berlin pour lui demander son aide auprès du Hezbollah qui, soi disant, « contrôle » le terrain. Arrivée dans son bureau après que l’imam en question ait commandé une tournée générale de thé pour tout le monde (…..pas de jus de fruit, pas de boisson gazeuse symbole du monde occidental !) elle lui dit tout de go :

« Nous menons une expédition vers le sud, au camp du général Alladia >>> Stupeur !
(…) le Hezbollah contrôle le camp» >>> Incrédulité !

Enfin, elle lui demande son aide auprès du hezbollah « à propos du laissez-passer » >>> Fou rire !

Pourquoi la stupeur ? Il n’y a pas de camps de réfugiés syriens dans le sud du Liban. Non, il n’y en a pas. Il n’y a pas de camp n’importe où ailleurs au Liban qui soit sous le contrôle d’un quelconque général encore moins d’un Alladia.

Pourquoi l’incrédulité ? Le Hezbollah ne contrôle aucun camp de réfugiés syriens au Liban ni d’ailleurs de réfugiés palestiniens. Les camps palestiniens qui se trouvent dans la banlieue sud de Beyrouth (Borj el-Barajneh, Sabra et Chatila) et au Liban-sud (Ain el-Heloueh), situés dans les zones d’influence du Hezbollah, sont surveillés de loin par le parti chiite.

Pourquoi le fou rire ? Le Hezbollah n’a pas de petit tampon pour estampiller des quelconques laissez-passer à qui veut se rendre dans une région qu’il « contrôle » et pourquoi pas des visas d’entrée, tant qu’on y est !

Extrait n°4 :

Carrie, grâce à sa ténacité, finit par avoir un contact avec un membre du Hezbollah à Berlin pour préparer son périple humanitaire et que tous soient sains et saufs. Cerise sur le gâteau, comment se passe l’entretien ? Carrie est kidnappée. >>> Stupeur !

Sac de jute enlevé, Carrie parle en face à face avec son interlocuteur du Hezbollah. L’interlocuteur appartenant au Hezbollah se présente à Carrie comme faisant partie de l’équipe qui était chargé de protéger un certain Abu Nazir, un djihadiste qu’elle a assassiné au cours de la 2eme saison. >>> Incrédulité !

Les yeux dans les yeux, notre héroine ne se démonte pas, elle demande son fameux « laissez-passer ». Le membre du Hezbollah explique que ça ne se passe pas comme ça, c’est le conseil qui fait les invitations. >>> Fou rire !

Pourquoi la stupeur ? Oui parce que les gars du Hezbollah, ils sont comme ça, ils kidnappent pour parler sinon ils ne parlent pas.

Pourquoi l’incrédulité ? Un membre du Hezbollah qui s’associe à un djihadiste, ça n’est pas possible. Pourquoi ? Car ce sont des ennemis. L’un est un combattant chiite, l’autre sunnite. Voilà justement tout l’histoire du Moyen-Orient qui échappe à l’Occident : faire l’amalgame entre sunnites et chiites.

Du côté de la lorgnette ouest, les deux portent le treillis noir, sont armés de AK-47 et se roulent dans le désert, en un mot des terroristes. Ils se battent pour étendre un système obscurantiste bref ils menacent la démocratie bref ils nous menacent. Il n’y a donc pas de différence, en tous les cas, pas visuelle. De l’autre côté de la lorgnette, le combattant Hezbollah chiite est issu de la résistance à l’occupation d’un pays tiers, il défend l’existence de la minorité à laquelle il appartient. Le djihadiste sunnite combat l’Occident qu’il considère comme infidèle. Les deux ne sont pas interchangeables, n’en déplaise à certains.

Pourquoi le fou rire ? Parce que trop c’est trop !!! Au sein du Hezbollah, il existerait un groupe de bonhommes qui se réunissent et qui décident, surement démocratiquement, à main levée je suis sure, qui a le droit d'entrée ou de sortie du territoire du Hezb. Tout cela est signé, estampillé, manque plus que les émoticônes !

Je peux, moi qui vis au Liban, rire de tout cela. Je sais et je vois la réalité. Mais si je ne vivais pas ici, j’y aurai cru tout autant que n’importe qui d’autre. On pourrait appeler ces préjugés à l’extrême, de la simple bêtise humaine, mais il faut bien dire les choses à un moment donné : c’est du racisme !

Autre article à lire : http://www.slate.fr/story/107873/liban-homeland

Epilogue :

L'histoire fait toujours rire. Homeland a bel et bien "été pris à son propre jeu" comme le titre L'Orient Le Jour samedi dernier.

Lors du deuxième épisode de la 5eme saison, l'histoire se déroule au Liban. Lors du tournage qui a eu lieu dans des studios à Berlin, la production avait fait appel à des graphistes pour taguer des murs de slogan arabe "pour faire plus vraie". C'est là que le piège s'est refermé sur Homeland. Les graphistes ont ni plus ni moins écrit sur un mur "Homeland est raciste". Traduisant le mot "Homeland" par watan qui signifie nation, ce qui certainement protègera ces graphistes activistes si Homeland voulait se retourner contre eux par un procès. L'histoire a fait le buzz toute la semaine dernière.

Tournée au mois de juin et diffusée en octobre, depuis personne de la production n'avait eu l'idée de se faire traduire ce qui avait été écrit en arabe. Quand on ne veut pas s'intéresser aux autres, on ne veut pas !